Les Duret, seigneurs de Villejuif, dans l’entourage de Cyrano de Bergerac

par RM

On parle généralement peu de l’histoire de Villejuif sous l’Ancien Régime. D’une part car toute une tradition historiographique a plutôt insisté sur l’histoire récente, en particulier depuis 1925 ; d’autre part… car Villejuif est alors un petit village où peu de choses se passent – où n’habitent que quelques centaines d’habitants dans un cadre largement rural.

Ainsi, on est jusqu’à présent passés à côté à côté de figures qui ne sont pas sans intérêt. Le nom de Jean Duret apparaît bien dans les quelques publications sur la ville, mais uniquement pour signaler qu’il achète la seigneurie en 1672, et construit le nouveau château, revendant l’ancien (partie de l’actuelle mairie) à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, qui y installe son séminaire. C’est pourtant une figure intéressante du milieu du XVIIe siècle.

Jean Duret est le fils de Philippe Duret, trésorier de France à Moulins, et de Catherine de Caen, sa seconde femme. Il fait donc partie d’une famille de robe, capable de payer un office coûteux, et qui confère une noblesse graduelle – comme son père, Jean Duret est noble et même qualifié de « chevalier » (noblesse importante, par opposition à « écuyer »). Philippe Duret possédait d’ailleurs la seigneurie de Chevaigne (ou Chavannes) qui passe ensuite à son fils aîné Henry.

Philippe a également au moins deux filles de son mariage avec Catherine de Caen : la première est Catherine, qui épouse Charles de Cisternay, sieur du Fay. Ils sont les parents de Charles-Jérôme, important bibliophile (1662-1723) , qui est lui-même le père de Charles-François, chimiste de renom (1698-1739).

Et la seconde est Louise-Marie, inconnue jusqu’ici car elle devient religieuse à la Visitation (Bibliothèque historique de la Ville de Paris, MS-NA-86, fol. 346).

Il a également un fils, demi-frère de Henry, Jean Duret, le futur seigneur de Villejuif. On le présente toujours uniquement comme un nobliau ordinaire, un militaire, qui aurait servi dans le régiment de Conti. Or, personne, en tout cas localement, n’a fait le lien avec un certain « Duret, sr de Montchenin », intéressant pout le rôle qu’il a joué dans l’entourage de Cyrano de Bergerac.

On connaît désormais plutôt Cyrano par la pièce d’Edmond Rostand, une des plus populaires du théâtre français, voire le film qu’en a tiré Jean-Paul Rappeneau, avec Gérard Depardieu, en 1990.

Mais Cyrano de Bergerac fut surtout un remarquable auteur du début du XVIIe siècle. Le Pédant joué est célèbre… notamment pour avoir « inspiré » Molière qui en a des repris des situations dans les Fourberies de Scapin. Un autre ouvrage très célèbre, car considéré par la science-fiction moderne comme l’un de ses prédécesseurs, est Les Estats et Empires de la Lune, publié chez Charles de Sercy de manière posthume en 1657. Or, ce livre s’ouvre par une préface écrite par un ami de Cyrano, Henri Le Bret, qui y écrit une biographie de l’auteur, qui est un document très important nous renseignant à la fois sur sa vie et son caractère.

Or, cette préface mentionne les amis de Cyrano de Bergerac : « Aussi, le Ciel, qui n’est pas ingrat, voulut que d’un grand nombre d’amis qu’il eut pendant sa vie, plusieurs l’aimassent jusqu’à la mort et quelques-uns même par-delà. Je me doute, Lecteur, que ta curiosité pour sa gloire et ma satisfaction, demande que j’en consigne les noms à la postérité et j’y défère d’autant plus volontiers que je ne t’en nommerai aucun qui ne soit d’un mérite extraordinaire tant il les avait bien su choisir. […] J’ose dire que mon frère et Monsieur de Zeddé, qui se connaissent en braves et qui l’ont servir et et en ont été servis dans quelques occasions souffertes en ce temps-là aux gens de leur métier égalaient son courage à celui des plus vaillants et, si ce témoignage était suspect à cause de la part qu’y a mon frère, je citerais encore un brave de la plus haute classe, je veux dire Monsieur Duret de Monchenin [= de Villejuif], qui l’a trop bien connu et trop estimé pour ne pas confirmer ce que j’en dis. »

Les autres personnes citées ici sont Jacques Le Bret, frère de Henri, qui est officier au régiment de Conti, tout comme Jean Duret. Et comme un autre ami de Cyrano, Jean-Baptiste Zeddé, sr de Vaux… qui est certainement de la même famille que la grand-mère maternelle de Jean Duret, Marie Zeddé. Nous nous situons donc dans un petit monde où les relations familiales, amicales, professionnelles s’entrecroisent. Henry Duret, le frère aîné de Jean a également épousé en 1665 Françoise Cuigy… qui est une cousine germaine de Jean. Mais aussi la fille de Jean Cuigy, qui signe les lettres patentes de privilège pour le livre de Cyrano de Bergerac, et la soeur de Nicolas Cuigy, sr de Clamart, également cité dans la préface parmi les amis de l’auteur. Tous ces individus sont également cités dans les Lettres diverses publiées par Henri Le Bret, où l’on voit les liens d’amitié entre eux : dans une des lettres (p. 78-79), notre Jean Duret de Villejuif se voit ainsi envoyer douze bouteilles de cidres de Normandie par son ami !

En rouge, Jean Duret, sr de Villejuif. En vert, les autres membres de l’entourage de Cyrano de Bergerac

En dehors de ces fortes amitiés littéraires et de sa belle carrière militaire à la suite du prince de Conti, Jean Duret épouse Anne-Françoise Hébert. Elle est la fille de Michel Hébert, sr de La Mayrie, contrôleur général de la maison du duc d’Orléans, et de Anne Poignant, issue de la bourgeoisie parisienne. Une autre de leur fille, Catherine, épouse François de La Mothe-Villebret, ingénieur du roi, qui fait une belle carrière dans les fortifications et devient gouverneur des places fortes d’Arras puis de Salins. Jean Duret de Villejuif en a au moins trois enfants :

*Jean-François (mort en 1730), sr de Villejuif, capitaine au régiment des Gardes françaises

*Catherine, qui épouse tardivement un veuf, Daniel Bourée de Corberon, conseiller à la cour des Aides

*Marie-Anne, qui épouse Louis-François de Verton, grand maître des Eaux et Forêts de Berry et envoyé extraordinaire en Moscovie.

Jean-François Duret de Villejuif n’a pas d’enfant de son épouse Madeleine-Geneviève Garrot, ce qui met fin au « règne » des Duret sur notre cité, après seulement deux générations et à peine plus d’un demi-siècle.