La dernière demeure d’une reine

par RM

On trouve au cimetière de Villejuif quelques tombes remarquables, qui n’ont curieusement que bien peu attiré l’attention des amateurs de ce type de patrimoine, pourtant très actifs. Certaines sont classées et un recensement systématique de ces tombes remarquables (remarquable par la tombe elle-même, par la personne enterrée ou par son rôle local) serait le bienvenu !

En longeant l’avenue principale, on ne peut manquer de voir un buste féminin en bronze, avec l’inscription « Paulette Fanni (1906-1948) ».

Il s’agit là de la dernière demeure d’une reine… mais pas une reine ordinaire, la reine des forains !

Paulette Fanni est née à Villejuif en 1906, au 20 avenue de Paris – adresse sur laquelle s’est bâtie l’un des bâtiments du siège du Crédit lyonnais, à peine au sud de la rue des Sorrières (actuelle rue René Thibert). Elle est la fille de Théodore Fanni (1884-1924), lui-même artiste forain, tout comme le père de ce dernier, Paul (1864-1898), enfant trouvé finalement reconnu par sa mère.

À la mort de Paul Fanni, en 1898 donc, sa veuve Maria continue à travailler avec leur collaborateur de toujours, Théodore Laugier, au Cirque populaire. Mais en 1906, elle décide de se lancer et crée le Cirque Fanni !

Représentation du cirque Fanni en 1920

Paulette poursuit bien sûr la tradition familiale et participe à la structure créée par sa grand-mère. Elle devient écuyère. En 1922, âgée de 16 ans, elle est élue « reine des forains » lors de la foire aux pains d’épices, titre important dont la remise est mentionnée dans tous les journaux : elle a même les honneurs des actualités Gaumont.

Paulette, au centre, élue reine, avec ses demoiselles d’honneur (1922).

Personnalité importante, elle a une activité mondaine et va notamment visiter les enfants dans les hôpitaux afin de leur redonner le moral.

Visite de Paulette Fanni, reine des Forains, à l’hôpital Trousseau, en 1922.

Quand son père Théodore meurt en 1924, sa mère Julie Artis reprend les rênes du cirque, et l’activité se poursuit. En 1927, à 21 ans, elle épouse un autre artiste forain, Henri Cholot, qui lui donne deux fils.

Henri Cholot enfant

L’aîné, Théodore, dit Dodor, sera bientôt présenté comme « le plus jeune dresseur du monde » : il faut dire qu’il monte sur scène dès 1932… à l’âge de 2 ans et demi ! Il présente en particulier un spectacle d’oies, qui imitent la troupe, ou participent à l’enterrement de l’une d’entre elles, parfaitement immobile sur une carriole tirée par un chien. Le cadet, Georges, dirigera le cirque après sa mère, dans les années 1950.

« Dodor » (Théodore Cholot, fils de Paulette Fanni) avec une de ses oies

Paulette, elle, continue à se spécialiser dans les spectacles équestres. Elle a une cavalerie de 35 chevaux sous ses ordres. Elle a présenté des spectacles à Médrano ou à l’Empire. En 1928, La Semaine de Paris la décrit ainsi : « cette jeune et jolie personne costumée en danseuse, brune également, de visage rieur et de belle santé, c’est Paulette Fanni, ex-reine des Forains, par ailleurs écuyère de race et de style. […] Braves gens, bons artistes, amis fidèles, aimant plus que tout le cirque et ses joies, et même ses épreuves, peu de confrères honorent au même point la profession qu’ils ont choisie ».

Affiche du début des années 1930.

Paulette gère l’ensemble de l’activité avec sa mère puis avec son mari. Son portrait figure d’ailleurs, en face de celui de son père Théodore, à la magnifique entrée du cirque.

Le cirque Fanni à la foire du Trône 1938. À gauche, le portrait de Paulette, à droite celui de Théodore. Le décor fait la part belle aux chevaux.

Le cirque est présent à chacune des foires qui rythment alors la vie parisienne : la foire du trône, celle du lion de Belfort, place d’Italie le 14 juillet… Il fait partie du décor du Paris des années 1930. Pour le cinquantenaire de la tour Eiffel, en 1939, ils sont invités à jouer sous le monument.

Paulette, elle, meurt à seulement 42 ans, en 1948. Elle est enterrée au cimetière de sa ville natale, Villejuif, aux côtés de son père et de ses proches – avec, donc, un joli buste de bronze qui rappelle la carrière d’une écuyère qui a fait rêver des générations de petits Parisiens.